top of page

« Tito », ou les prémices d’un fédéralisme européen ?

7 mai 2014

Aujourd’hui, le 7 mai, Josip Broz alias « Tito », fêterait ses 122 ans. Si l’âge n’est pas symbolique, la date présente une bonne occasion de replonger dans le passé du stratège militaire yougoslave, à la tête de la fédération pendant plus de 40 ans.

 

Le « jeune Tito » a fait ses armes dans le parti communiste yougoslave, petit frère du communisme russe. 

Dans l’entre deux guerres, et après avoir été récompensé pour ses états de service dans la premier conflit mondial, Broz défend les idées de Staline et acte ses décisions (il exécute Milan Gorckic, chef du parti communiste yougoslave selon ses instructions) ce qui lui vaut en 1937 d’être nommé par le dirigeant de l’URSS, secrétaire général du parti.

Fortement opposé au fascisme allemand, il organise la résistance pendant la seconde guerre mondiale. Son intelligence stratégique et militaire lui permet, le 7 mars 1945 d’être désigné comme chef du gouvernement provisoire yougoslave. Un poste qu’il ne quittera plus jusqu’à sa mort, le 4 mai 1980, peu avant ses 88 ans.

Si Tito est connu comme une égérie du communisme répressif, neutralisant et exécutant toute opposition au régime, et refusant son pays au pluralisme politique, on oublie souvent que l’homme était également un penseur-novateur, qui a rassemblé dans une main de fer vêtue d’un gant de velours plusieurs nationalismes forts qui ont éclaté à sa mort.

 

Sans rendre un hommage inconscient à un dictateur-policier, il convient tout de même d’analyser la profondeur et l’actualité de sa pensée. En effet, depuis sa prise de pouvoir, le but politique de Tito était résumé dans la phrase suivante : « La Yougoslavie a 6 républiques, 5 nations, 4 langues, 3 religions, 2 alphabets et un seul parti ». Par cette formulation, Tito souhaitait rappeler l’union de toutes les différences identitaires de la région, acceptées et reconnues dans une seule et unique institution : le parti communiste yougoslave. 

Pourquoi un tel effort de cohésion et de rapprochement ? Selon Tito, la Yougoslavie, bien que constellée de nationalismes propres, avait vocation à exister, à être maîtresse de ses décisions. Dans l’après seconde guerre mondiale, il fallait donc pour la région, lutter pour son indépendance, saisie entre les deux grands blocs occidental et oriental. Tito s’est donc battu, pendant toute sa vie et sa carrière politique pour maintenir un fédéralisme yougoslave solide, pour permettre aux citoyens de s’extraire de l’hégémonie des grandes puissances.

 

Et c’est là où l’action et la pensée politiques de Tito se révèlent être actuelles. A l’heure où l’Union Européenne peine à se substituer à ses états membres, et à l’aune d’élections pouvant aboutir à une réelle remise en question de l’institution, la communauté formée par les états européens se trouve à un tournant.

D’une nature encore imprécise, l’union européenne a-t-elle vocation à basculer dans un fédéralisme fort, englobant chaque décision étatique ; ou au contraire à prendre la forme d’une confédération souple, laissant subsister les systèmes juridiques internes desquels elle va s’arquer à s’émanciper ?

En suivant l’exemple de Tito, la question n’admet qu’une seule réponse. Seul le fédéralisme permettra à l’Europe de faire face à l’hégémonie américaine et à la montée en puissance de l’industrie asiatique. Et pourtant, l’opposition soutient qu’il existe de telles disparités identitaires et culturelles au sein de l’Union, que le fédéralisme n’est pas envisageable.

 

Cependant, ces disparités existaient également au temps de la Yougoslavie. Quel a donc été le ciment solidarisant les 6 républiques des Balkans ? Ce ciment a été l’image du chef politique symbolisée par Tito, et servie par un véritable culte de la personnalité. A sa mort, les conflits se sont de nouveau exacerbés, et l’organisation s’est désagrégée.

Tito, ce philosophe-roi platonicien, concentrant en ses mains tous les pouvoirs, ayant assuré la paix et la survie économique et militaire d’un groupe de nations.

Tito, cette remise en question de la démocratie à tout prix.

Tito, l’exemple même d’un président européen.

 

A méditer.

Matthieu Crépin

Kennedy: une vie en clair-obscur

9 avril 2014

Homme séduisant, brillant, au mental de fer, capable de saisir toutes les bonnes opportunités, mais dont la vie a aussi été traversée par de larges parts d’ombre. En effet il est gravement malade depuis l’enfance, mène une vie sulfureuse auprès des femmes en parallèle de sa vie de famille, et de nombreux éléments douteux accompagneront son ascension politique : l’argent, l’appui fort de son père qui a de nombreuses « relations ».

 

L’auteur historien Thomas Snégaroff, spécialiste de la vie politique américaine, nous conte avec finesse et précision la vie de Kennedy dans toute son ambiguïté. Arrière petit fils d’émigrés catholiques irlandais, celui-ci grandit à Boston puis fait ses études à Harvard et publie un essai sur l’action diplomatique de l’Angleterre durant la deuxième guerre mondiale ; ici commence sa mythification : il s’agit en fait d’un banal mémoire universitaire qui va devenir un « brillant essai diplomatique » grâce à l’intervention du père de John Kennedy qui achète des milliers d’exemplaires pour placer le livre dans les meilleures ventes… En effet Joe Kennedy a de grandes ambitions pour son fils. D’autres « déformations » d’aventures de Kennedy suivront et contribueront à construire le « mythe » Kennedy. Tel est le cas de son intervention lors de la guerre dans le Pacifique : il sera sacré héros de guerre par la presse américaine, lui qui pourtant est responsable du naufrage de son navire, coulé par un destroyer japonais…

 

On se délecte des nombreux détails sur Kennedy et sa famille, détails importants pour comprendre ce personnage complexe. Le récit est en effet très documenté, des extraits de témoignages de ses proches sont ainsi souvent adroitement insérés dans le texte sans pour autant faire du roman un documentaire.

L’auteur s’attache donc à montrer qui JFK était vraiment en refusant de coller au mythe du personnage qui pourtant est légendaire.

 

Flore Lestrade

Indonésie 1965 : Permis de tuer

22 mars 2014

Un documentaire choc : « Indonésie 1965 : Permis de tuer ». On suit le tournage d’un film historique qui se veut humoristique et « divertissant » : des tortionnaires jouent leur propre rôle cinquante ans après les faits. D’anciens bourreaux, chargés d’exécutions lors du massacre de 1965 en Indonésie, racontent leurs « exploits » avec fierté et mettent en scène ce génocide dans un film.

 

Dans les années soixante, les tensions étaient fortes entre conservateurs et procommunistes en Indonésie, pays qui pourtant s’est montré fervent défenseur du non-alignement à la conférence de Bandung en 1955, dans le contexte de guerre froide. Après un coup d’Etat attribué aux communistes contre Soekarno, des groupes armés vont organiser une répression sanguinaire, les communistes menaçant en effet l’unité nationale. Plus d’un million de communistes (PKI), d’opposants au régime et de Chinois seront massacrés. Ces criminels n’ont jamais été punis, même si, en 2012, un premier pas a été franchi vers la reconnaissance officielle du massacre par la Commission indonésienne des droits de l'homme.

Le documentaire nous fait assister au tournage d’un film qui montre les faits, joués par ceux qui ont eux même organisé et exécuté les opérations. On suit durant le tournage Anwar Congo alors chargé d’exécutions et amateur de cinéma américain, qui met sur le même plan les James Bond et les films sur les Nazis, que selon lui le public aime pour leurs scènes de violence et d’action. Les exécuteurs sont fiers de ce qu’ils ont fait, même s’ils revendiquent une violence mesurée et contrôlée et ne veulent pas apparaître aux yeux du public comme « assoiffés de sangs » et sans retenue. C’est un monde sans morale, sans justice, « on posait les questions, et c’est tout. Ensuite, on ajoutait les réponses. ». Ces « acteurs » jouent avec le plus grand détachement, dans ce film violent et burlesque qui se veut drôle et distrayant, sans remords, ou presque. En effet au fur et à mesure du film Anwar Congo se pose des questions, confie qu’il fait souvent des cauchemars, il semble choqué lors de la reconstitution des scènes de violence qu’il a lui-même vécues et provoqué. D’autres de ses amis s’inquiètent des conséquences négatives que pourra avoir le film sur leur image publique.

 

On pourrait penser que ce documentaire dérangeant ne montre qu’un massacre parmi tant d’autres au XXème siècle, mais à travers le tortionnaire Anwar Congo, il nous présente un homme joyeux, qui aime danser, qui s’occupe de ses petits enfants, presque attachant parfois et auquel on pourrait s’identifier par certain aspects de sa personnalité, mais qui pourtant a exécuté froidement des milliers d’hommes. Ce personnage incarne d’une certaine manière le concept de la philosophe (connue pour ses travaux sur le totalitarisme) Hanna Arendt de « banalité du mal », qui nous fait nous poser la question de la part d’inhumain qui se cache en chacun de nous, et tend à prouver que « c'est dans le vide de la pensée que s'inscrit le mal. »

 

Le documentaire, sur Arte +7

Flore Lestrade

De l'importance de l'histoire économique de la période vichyste

21 décembre 2013

      Il y a encore vingt ans, l’existence d’un Etat français durant la période vichyste (1940-1944) n’était pas officiellement reconnue et in fine la collaboration de la France avec l’Allemagne nazie, point confessée. Le président de la République Jacques Chirac mit fin à ce mensonge d’un demi-siècle lorsqu’il prononça son discours au Vélodrome d’Hiver, le 16 juillet 1995, reconnaissant « les fautes du passé, et les fautes commises par l’Etat ».  Dès lors, la période vichyste était reconnue partie intégrante de l’Histoire de France et non plus considérée telle une parenthèse que l’on tenta, par le passé, de refouler à maintes reprises. Ainsi Jaques Chirac devenait-il le premier président français à reconnaître et affirmer la continuité de l’Etat sous le régime de Vichy. Cette idée de continuité induit la pleine responsabilité des Français dans l’acte de collaboration mais doit également s’envisager dans la perspective d’une continuité historique et juridique. Pour autant, la période vichyste constitue une rupture majeure dans son idéologie et dans la mise en œuvre de celle-ci, via la pratique du pouvoir. Aussi est-il pertinent d’évoquer la « continuité d’un tournant » (S. Klarsfeld) à propos des années 1940-1944. L’article qui suit se propose de mettre en lumière cette idée, somme toute paradoxale, au prisme de la politique économique du régime de Vichy. Ce thème n’est pas des plus étudiés. Pour cause : le manque de sources. Cependant, il est possible de dresser un tableau succinct, au service de notre démonstration.

 

        Laissons de côté la Charte du travail (4 octobre 1940), dont les modalités et finalités restent vagues. Intéressons-nous plutôt aux réalisations, à savoir les Comités d’Organisation (CO). Ceux-là sont prévus par la loi du 16 août 1940 : il s’agit d’organismes semi-publics, composés d’industriels (Raoul de Vitry, François Lehideux, Auguste Detoeuf) et technocrates (en moyenne 10% de polytechniciens), nommés par les ministères concernés, dont l’objectif est le recensement des entreprises, des stocks et de la main d’œuvre, mais aussi l’élaboration de programme de production propre à chaque branche industrielle. Les CO succèdent pour partie aux syndicats patronaux et ouvriers (dont la CGT), dissouts par la loi du 9 novembre 1940. De fait, ils traduisent le caractère autoritaire de Vichy mais également la volonté d’avoir une mainmise sur l’appareil d’encadrement de l’économie. Ce corporatisme d’Etat (organisation de la population active en groupes économiques qui se régiraient eux-mêmes et dirigeraient la société) n’est pas sans faire penser aux doctrines saint-simoniennes du XIXe siècle mais aussi et surtout aux positions défendues par certains industriels des années 1930, parmi lesquels Auguste Detoeuf, au sein du think-tank X-Crise (1936). Ce dernier, n’envisageait-il pas un libéralisme de proximité indispensable entre les grandes entreprises et l’Etat ? Ne pensait-il pas qu’en accroissant le rôle des industriels l’intervention de l’Etat sur le marché serait mieux équilibrée ? Dans ses intentions de politique économique, le régime de Vichy est donc une résultante des années 1930 et des nombreux débats qui accompagnèrent la crise. Dès lors, cessons d’envisager cette période telle une parenthèse en rupture totale avec notre Histoire. De toute évidence, c’est dans les années 1920-1930 que sont à chercher les prémices du régime de Vichy, d’un point de vue économique.

 

        Aussi pouvons-nous soutenir que c’est du côté de Vichy qu’il faut chercher une partie des origines et causes de la politique menée, lors de la Libération, par le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF). Evoquons, par exemple, le cas du planisme. Le gouvernement du maréchal Pétain adopta, en mai 1941, un plan décennal pour encourager l’accroissement de la productivité et dont la finalité était de permettre à la France d’affronter la puissance économique grandissante des Etats-Unis. Le corporatisme dirigiste de Vichy devint désormais planiste. Là encore, l’idée naquit dans les années 1930 au sein de think-tank importants (parmi lesquels X-Crise) et fut ébauchée sous Vichy. C’est bien d’une ébauche dont il faut parler car le plan décennal, voté en avril 1941, est abandonné en 1942 avec le début de la Solution finale. Mais il est intéressant d’évoquer cette esquisse planiste car on la retrouve à la Libération, sous le régime successeur du GPRF. Effectivement, la reconstruction de la France fit l’objet d’un plan, édifié par Jean Monnet (1888-1979). Cette gestion particulière fut érigée en pièce maîtresse de l’économie française, jusqu’à l’achèvement du dernier plan, en 1992. Sur ce point encore, le régime de Vichy, parce qu’il met en œuvre des idées économiques nouvelles, issues des années 1920-1930, doit-être pensé comme une pièce charnière de notre histoire économique et en continuité avec les décades qui le précédèrent.

 

       Enfin, présentons un dernier aspect de la politique économique de Vichy, ayant trait à l’intégration européenne. Les dirigeants du régime étaient convaincus, pour la plupart, d’une victoire écrasante de l’Allemagne sur l’ensemble du continent. Certains pensaient qu’il en résulterait une intégration européenne économique et politique sous l’égide de l’Allemagne nazie et décidèrent que la France adoptât une position « neutre » (supposée justifier l’acte criminel de collaboration). À cet égard, François Lehideux prépara un plan européen de la production automobile, rapprochant la France, l’Italie et l’Allemagne. Par ailleurs, le Grand Palais de Paris accueillit, le 6 juin 1941, la première « exposition de la France européenne », c’est-à-dire intégrée à l’Europe, sous contrôle de l’Allemagne. Ici, l’idée dont l’historien doit se saisir est celle d’intégration économique et politique. Effectivement, c’est durant la Seconde Guerre mondiale qu’un projet européen globalisant, pensé et débattu depuis le XIXe siècle (Victor Hugo, Aristide Briand…), fut esquissé. Bien entendu, et heureusement (!), ce projet, tel qu’il fut pensé par les nazis et pays collaborateurs, fut abandonné suite à la capitulation allemande. Cependant, l’idée n’est pas totalement abandonnée. On la retrouve reformulée par Jean Monnet et Robert Schuman, sous la forme d’une Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), en 1951. Avec l’Europe des Six naissait l’intégration économique européenne. Par conséquent,  on le constate une fois encore, les politiques économiques des années 1940-1950 témoignent du fait que l’on ne peut, en aucun cas, considérer la période vichyste comme une simple parenthèse de notre Histoire, inintéressante et sans bénéfices aucun. Là est d’ailleurs, très certainement, l’origine du malaise que l’ensemble des Français éprouvent lorsqu’on évoque cette période… Fructueuse et nécessaire d’un point de vue économique et, en même temps, coupable des pires atrocités.

 

       Avant de conclure, nuançons le propos et rappelons que les Comités d’Organisation ont constitué un moyen efficace, dans certains cas, d’aryanisation de l’économie française (confiscations des biens appartenant aux Juifs). Ajoutons à cela que nombre d’entre eux ont participé à la collaboration avec l’Allemagne. De tous les pays occidentaux occupés, c’est d’ailleurs la France qui fournit aux usines allemandes le plus grand nombres d’ouvriers. Cependant, cette collaboration est très mal connue, du fait de la disparition inexpliquée des archives des CO. En conséquence, il est difficile d’établir un diagnostic clair. Suite à ces précisions, concluons notre démonstration. Il faut en retenir l’idée que la planification et la productivité sont des mots nouveaux sous Vichy, et deviendront la voix du peuple pendant des décennies. Et aujourd’hui encore. Soyons également sûr que derrière l’anticapitalisme de façade du régime de Vichy est mise en œuvre une politique technocratique, contrebalancée par le pouvoir économique confié aux grands industriels. C’est à cette époque que l’Etat prend l’initiative d’intervenir sur les marchés, consacrant une évolution importante du capitalisme français. Celui-ci est désormais fondé sur un équilibre délicat entre interventionnisme et libéralisme économique. Enfin, l’ébauche d’une intégration européenne fait jour à cette époque, empruntant les formes abjectes du nazisme.

 

        Nous avons là trois idées majeures, mises en œuvre pour la première fois sous le régime de Vichy et reformulées dans les périodes ultérieures, témoignant de la continuité historique entre les années 1930 et 1940. Deux décades au milieu desquelles se situe la période vichyste.

Elliot Latil

Tapie/Le Pen ou l'art de la non-communication politique

17 novembre 2013

Un peu d'histoire...

        En 1989 eut lieu l'un des plus fameux débats télévisés que la France ait connu: retour sur le «match Tapie/Le Pen» qui, 24 ans après, reste un (contre)modèle du genre.

 

       En ces temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, le Front national commence à se faire une place sur l'échiquier politique français. Fondé au début des années 70, le parti de Jean-Marie Le Pen, un temps en retrait, enregistre ses premiers succès électoraux dans les années 80, aux cantonales et aux européennes, mais surtout aux législatives de 86, aidé par l'instauration du scrutin à la proportionnelle par François Mitterrand. Ce faisant, le leader frontiste s'impose dans la deuxième moitié de la décennie comme un contradicteur chevronné dans le paysage audiovisuel français, avec lequel peu d'hommes politiques de l'époque osent débattre. C'était sans compter sur la pugnacité d'une des étoiles montantes du parti à la rose, l'ambitieux Bernard Tapie. A l'occasion d'une discussion sur le thème de l'immigration organisée par TF1 et boudée par les principaux orateurs de l'époque, le sulfureux entrepreneur et président de l'OM décide de se présenter face à la terreur des studios de télévision.

        Échappant à toute règle de bienséance et de cordialité, la joute oratoire prend rapidement une tournure pathétique, tournant au combat de coqs. Jamais un tel débat n'avait autant bafoué les procédés de la rhétorique politicienne; aux idées se substituent bientôt les insultes et la tension est palpable entre les deux hommes. Non contents de se vilipender mutuellement, parfois avec véhémence, les deux protagonistes osent s'attaquer sur le terrain du physique et de la vie privée, le «Mais enfin Monsieur, regardez vous!» de Tapie répondant au non moins croustillant «Vous sortez des bas-fonds, on le sait!» de Le Pen. Rien de constructif ne ressortira de cet entretien, excepté des formules d'anthologie et des échanges délicieux qui aujourd'hui encore, nous arrachent un franc sourire: «Vous êtes un matamore, un tartarin, un bluffeur! Vous êtes un pitre Monsieur Tapie! (…) et ne me menacez pas physiquement, il vous en cuirait!»

        Ce type d'affrontement est l'exemple même du «match» politique, où le débat se transforme en une confrontation quasi personnelle entre deux hommes. Cet épisode fut en outre l'acte fondateur de la fulgurante ascension de Tapie, qui, s'octroyant les faveurs de Mitterrand, rentra au gouvernement en 1992 en tant que ministre de la ville, avec la suite fâcheuse que l'on connaît. S'il semble difficile de dégager un vainqueur de cette parodie, on peut néanmoins remarquer que pour la première fois quelqu'un est parvenu à déstabiliser Jean-Marie Le Pen à la télévision. Sur le glissant terrain de la mauvaise foi.

        Depuis, la donne a changé dans les débats télévisés, le temps de parole est contrôlé, les sujets sont préalablement définis, et le modérateur intervient à la moindre étincelle. Résolument plus sain, définitivement moins intéressant. Nos deux hommes se retrouvèrent en 1994, et malgré les gants de boxe offerts par Paul Amar aux deux protagonistes au début de l’émission, la discussion fut calme et cordiale. Bref, soporifiquement politique.

 

Elian Delacôte

Please reload

Histoire

 

bottom of page