top of page

Conversation de l'outre-tombe

30 mai 2014

Pas de décor, pas de chaises, pas de bruit. Lautréamont et moi-même apparaissons. Nous portons un banc en pierre que nous posons ensuite sur le sol, puis nous asseyons dessus. Je me racle la gorge, sors de ma poche une brindille que je dépose sur le sol, à laquelle je m'adresserai jusqu'à la fin. Lautréamont se tourne vers moi.

 

Lautréamont — Plût au ciel que le lecteur, enhardi et devenu momentanément féroce comme ce qu'il lit, trouve, sans se désorienter, son chemin abrupt et sauvage à travers les marécages désolés de ces pages sombres et pleines de poison ; car à moins qu'il n'apporte dans sa lecture une logique rigoureuse et une tension d'esprit égale au moins à sa défiance, les émanations mortelles de ce livre...

 

Moi — Bonsoir à vous aussi. Merci d'être venu ! Mais enfin, je vous ai interrompu. Poursuivez.

 

Lautréamont — … les émanations mortelles de ce livre imbiberont son âme comme l'eau le sucre. Il n'est pas bon que tout le monde lise les pages qui vont suivre ; quelques-uns seuls savoureront ce fruit amer sans danger. Par conséquent, âme timide, avant de pénétrer plus loin dans de pareilles landes inexplorées, dirige tes talons en arrière et non en avant. 

 

Moi — J'ai beaucoup hésité quant au choix du livre que j'allais emmener. Ils étaient tous si beaux. J'ai l'impression d'être ingrat. Mais pour Lautréamont, météore littéraire, seigneur de la prose, monarque du mauvais sentiment ; mon inclination fut forte. Mort en 1870, à vingt-quatre ans. On pourrait y voir l'attrait du génie, se plaisant à faucher fort jeune les grandes âmes qu'il a investies. Mort en 1870, soit trois ans après Baudelaire. Hécatombe, cette fin de siècle. Le paysage poétique, ils en ont créé l'implosion. Baudelaire, grand poète français, Lautréamont, peu prolifique, mais génial. Ils pourraient tous deux être de ces poètes incroyables que Verlaine appelle « maudits ». Spleen, vin, femme, mort d'un côté ; onirique aventure à la frontière de l’indicible de l'autre : voici Les Chants de Maldoror.

 

Hubert-Félix Thiéfaine apparaît et chante :

« Piétinant dans la boue les dernières fleurs du mal.

Ils ont cru s'enivrer des chants de Maldoror »

 

Moi — On peut lire, chez Léon Bloy, qui qualifie Les Chants de Maldoror de « monstre », que par comparaison, les sataniques litanies des Fleurs du Mal prennent un certain air d'anodine bondieuserie. La formule est forte, certes ; toutefois, le météore ne l'est pas moins.

Composé de six chants, ou chapitres, on suit les pérégrinations de Maldoror, être qui fait sa joie du mal, de la souffrance. Texte précurseur du surréalisme, qui, on le sait, nous apportera nombre de génies. Épopée. Divagations sur l'ivresse, la sexualité, le blasphème, le mal. Astéroïde littéraire. Œuvre presque indescriptible. Mais je me permets d'en esquisser une description, comme nous sommes entre nous.

 

Lautréamont — J'établirai dans quelques lignes comment Maldoror fut bon pendant ses premières années, où il vécut heureux ; c'est fait.

 

Moi — Ah ! Et seulement à la troisième page. Le décor sentimental est bien vite posé. Sombre, dérangeant, magnifique.

Foisonnant de symbolisme, on peut toutefois dire que c'est dès le premier chant que se trouve le seul réel dialogue du livre. Une famille est présente, et le fils voit venir à lui un spectre, un mauvais esprit, le mal, qui tente de le corrompre à la manière du Méphistophélès Goethien. Maldoror est là, ravi de voir la famille disloquée, ses membres morts. Et le génie, fauche, fauche, fauche.

 

Lautréamont — Il est minuit ; on ne voit plus un seul omnibus de la Bastille à la Madeleine. Je me trompe ; en voilà un qui apparaît subitement, comme s’il sortait de dessous terre. Les quelques passants attardés le regardent attentivement ; car, il paraît ne ressembler à aucun autre. Sont assis, à l’impériale, des hommes qui ont l’œil immobile, comme celui d’un poisson mort. Ils sont pressés les uns contre les autres, et paraissent avoir perdu la vie ; au reste, le nombre réglementaire n’est pas dépassé. Lorsque le cocher donne un coup de fouet à ses chevaux, on dirait que c’est le fouet qui fait remuer son bras, et non son bras le fouet. Que doit être cet assemblage d’êtres bizarres et muets ? Sont-ce des habitants de la lune ? Il y a des moments où on serait tenté de le croire ; mais, ils ressemblent plutôt à des cadavres. L’omnibus, pressé d’arriver à la dernière station, dévore l’espace, et fait craquer le pavé... Il s’enfuit !... Mais une masse informe le poursuit avec acharnement, sur ses traces, au milieu de la poussière. « Arrêtez, je vous en supplie ; arrêtez... mes jambes sont gonflées d’avoir marché pendant la journée... je n’ai pas mangé depuis hier... mes parents m’ont abandonné... je ne sais plus que faire... je suis résolu de retourner chez moi, et j’y serais vite arrivé, si vous m’accordiez une place... je suis un petit enfant de huit ans, et j’ai confiance en vous ! » Il s’enfuit !... Il s’enfuit!... Mais, une masse informe le poursuit avec acharnement, sur ses traces, au milieu de la poussière. Un de ces hommes, à l’œil froid, donne un coup de coude à son voisin, et paraît lui exprimer son mécontentement de ces gémissements, au timbre argentin, qui parviennent jusqu’à son oreille. L’autre baisse la tête d’une manière imperceptible, en forme d’acquiescement, et se replonge ensuite dans l’immobilité de son égoïsme, comme une tortue dans sa carapace. Tout indique dans les traits des autres voyageurs les mêmes sentiments que ceux des deux premiers. Les cris se font entendre pendant deux ou trois minutes, plus perçants de seconde en seconde. L’on voit des fenêtres s’ouvrir sur le boulevard, et une figure effarée, une lumière à la main, après avoir jeté les yeux sur la chaussée, refermer le volet avec impétuosité, pour ne plus reparaître...Il s’enfuit !... Il s’enfuit !... Mais, une masse informe le poursuit avec acharnement, sur ces traces, au milieu de la poussière. Seul, un jeune homme, plongé dans la rêverie, au milieu de ces personnages de pierre, paraît ressentir de la pitié pour le malheur. En faveur de l’enfant, qui croit pouvoir l’atteindre, avec ses petites jambes endolories, il n’ose pas élever la voix ; car les autres hommes lui jettent des regards de mépris et d’autorité, et il sait qu’il ne peut rien faire contre tous. Le coude appuyé sur ses genoux et la tête entre ses mains, il se demande, stupéfait, si c’est là vraiment ce qu’on appelle la charité humaine.

 

Je me saisis de la brindille, la range. Puis je me lève, et retombe, genoux à terre. Levant le regard vers une source de lumière, en hauteur, je m'exclame :

 

Moi — Après cela, les mots n'ont plus de valeur. Je n'en userai plus. Tout a été dit, et je rejoins maintenant l'extase du silence.

 

RIDEAU

 

Maxime Guillon

Cartier-Bresson dans le viseur

24 mars 2013

Véritable génie de la composition visuelle, Henri Cartier-Bresson a su immortaliser avec son Leica les moments les plus inattendus mais également les plus signifiants de son époque. Ses clichés sont aujourd'hui célèbres dans le monde entier. L'exposition consacrée au photographe au Centre Pompidou rend hommage à son œuvre mais également à un homme d'engagement, militant souvent méconnu, précurseur du photoreportage.

 

L'exposition se divise en quatre parties : les quatre grandes périodes qui dessinent la vie et l’œuvre de l'artiste. L'attraction pour le surréalisme, son engagement politique, le choix du photoreportage et le temps du dessin. L'œuvre d'Henri Cartier-Bresson va être modelée par les nombreux voyages, rencontres et collaborations qu'il effectuera tout au long de sa carrière. 

 

Les réunions et débats des milieux surréalistes auxquels Cartier-Bresson participe influencent son œuvre de 1926 à 1935. Touché par l'attitude surréaliste, il laisse une plus grande place à l'inconscient et au hasard dans ses photographies, la plupart prises sur le vif, en milieu urbain. L'instantané, la rêverie et les déformations corporelles caractéristiques de cet imaginaire surréaliste donnent naissance à des clichés restant néanmoins esthétiques et signifiants. De 1936 à 1946, Henri Cartier-Bresson milite aux côtés des communistes et s'affirme en tant qu'anticolonialiste et pacifiste. Il met ses talents au service de son engagement et répond aux commandes de la presse communiste en traitant par la photographie puis par le cinéma de grands sujets sociaux tels que les congés payés, la condition ouvrière ou les rassemblements du peuple ... Il prend également la guerre comme sujet de ses travaux photographiques, de ses films. L'artiste pose alors son regard sur des moments clés comme la libération ou le retour des prisonniers d'Allemagne. La fin de la guerre marque les débuts du photoreportage pour l'artiste, précurseur en la matière. Il visite de nombreux pays et crée à partir de ses clichés des reportages qui obtiendront rapidement une renommée mondiale. Sa carrière se termine par un retour au dessin qu'il pratiquait étant plus jeune. Il cesse de répondre aux commandes internationales de reportages et s'adonne à la photographie d'une manière plus posée, plus contemplative.

 

L'exposition témoigne véritablement du sens d'observation génial de l'artiste, Henri Cartier-Bresson a aujourd'hui trouvé sa place aux côtés des photographes majeurs du vingtième siècle.

 

Exposition Henri Cartier-Bresson,

Centre Pompidou

Paris, du 12 février au 9 juin 2014.

 

Marie-Luce Robert

Frank Gehry, un architecte du siècle

21 janvier 2014

A quelques mois de l’inauguration de l’institut Louis Vuitton pour la mode à Paris, son créateur, l’un des plus grands architectes de notre époque, mérite bien quelques lignes. 

 

Né d’une mère mélomane et d’un père commercial en matériaux, il ne pouvait en être autrement pour lui. Goethe l’affirmait, l’architecture, c’est de la musique figée.

Architecte américano-canadien, professeur d’architecture à l’université de Yale, il se distingue par des créations particulièrement originales. Ses méthodes en font déjà un monument. Imperméable à la technologie pour dessiner ses œuvres, un simple dessin sans lever le crayon suffit à trouver la forme de l’œuvre. Ainsi, seule l’esthétique prime. Plus étonnant encore, certaines créations sont la pure transcription d’une simple feuille de papier froissée jetée au sol. C’est le cas de la fondation Louis Vuitton au sein du jardin d’acclimatation, bois de Boulogne (si jamais vous êtes dans le coin), que vous vous empresserez d’aller visiter à son ouverture à l’automne 2014.

De son travail résulte des structures vivantes et variées. Des formes inhabituelles se confondent avec d’autres plus géométriques. Ses bâtiments paraissent similaires dans les matériaux utilisés mais diffèrent dans leur relation au site occupé. Les métaux et le bois fréquemment utilisés sont ployés pour donner au bâtiment un aspect mouvant et futuriste. C’est le fameux musée Guggenheim de Bilbao créé en 1997 qui le fait accéder à la reconnaissance mondiale. Mais d’autres réalisations telles que le Lou Ruvo Center de Las Vegas ou même le BP Pedestrian Bridge à Chicago sont toutes autant remarquables. 

 

L'ar(t)chitecture Frank Gehry en images

 

Gael Jeanson

L'amour et ses embuscades

19 janvier 2014

        C’est dans un décor de haute-classe Pétersbourgeoise que Léon Tolstoï a développé l´un de ses plus grands chefs-d´oeuvres. Anna Karenine, c´est le portrait d´un monde rempli de vices et d’apparences, un monde dont l´ambition et les codes sociaux consomment la vie de ceux qui dissimuleraient derrière leur masque un rictus résigné et abattu.

 

A travers descriptions minutieuses et habilité inhérentes à ce grand de la littérature russe, Tolstoï fait émerger l´intimité perturbée des personnages et l´auguste fond d´un roman tragique. Publié par épisodes entre 1875 et 1877 dans le magazine de littérature russe Ruskii Véstnik, Anna Karenine se présente devant Dionysos - dieu du vin – comme une offrande vêtue de tulle pour chanter une ode à l’hýbris grecque.

 

Les émotions d´Anna et Vronski - personnages principaux du roman - tourbillonnent en une houle qui les plonge dans un tourment capricieux donnant sens à leur vie : comme si leur amour arpentait librement les sentiers d’un labyrinthe, mais dont les pas finissent par accroître la frustration de n´entrevoir aucune sortie et la culpabilité de se savoir sur un terrain encore vierge où la seule référence est l´immoralité. Une relation amoureuse qui va en plongeant les amants dans les vertiges de la folie, obstinée par la libération des passions et la contemplation de sa beauté, combattant tout instinct pour l’enterrer dans le recoin le plus silencieux et obscur de leurs vies.

 

Mais ce roman, que Tolstoï a commencé à écrire en 1873 et dont le titre était « Deux Familles », est aussi un récit où l´auteur réfléchit - à travers des passages biographiques – à certaines questions comme la mort, la religion ou le sens de la vie qui, semble t-il, assiégeaient Tolstoï de coups rapides capables de faire trembler le socle de sa pensée, et qui en agitant son esprit, lui semaient des doutes ravageant toute sorte de conviction.  

 

Léon Tolstoï a su composer un roman qui se détache de ses racines pour se cacher du temps ; un ouvrage, comme disait Oscar Wilde, noble et durable, qui sait refléter l´art que son auteur portait dans les mains et qui donne à ses chants un parfum spirituel qui enivre les hommes.

 

Gonzalo Recarte

Le chant du monde, un chant étrange et pénétrant

26 novembre 2013

        Au cœur de la ville, nos cœurs en hiver.

        La ville en hiver, Paris dont la verdure déjà si rare se meurt désormais, jusqu’au printemps prochain. Il nous faut lire Giono en ces temps de froid, parce que Giono chante le soleil du ciel et des âmes, et surtout il nous faut lire Giono pour les urbains que nous sommes, qui avons oublié la campagne.

Non pas vraiment la campagne mais bien plutôt la nature, dans sa forme la plus vraie et la plus pure : la nature primaire, reine tranquille, qui accepte les hommes et les domine souvent, les chasse parfois, la nature partout autour de quelques personnages effacés, rendus plus humbles dans ce décor gigantesque…

       

        Un hussard sur le toit est bien connu. Comme les Ames fortes, il a bénéficié d’une adaptation cinématographique à succès et de qualité, et c’est tant mieux. Il est cependant tout aussi enrichissant de lire l’autre Jean Giono, celui d’avant la deuxième Guerre, les œuvres de la période dites « de première manière ». Dans ce premier mouvement, à l’inverse du second, la nature est dominante. Etouffante parfois, déconcertante pour un lecteur habitué à des schèmes littéraires qui font apparaître les personnages dès les premières pages, de façon claire. Avec Giono on ne comprend pas… pas tout de suite.

 

        Ouvrons Le Chant du Monde.

        On ne comprend pas les longues descriptions des paysages sauvages, animés d’une vitalité déconcertante, et l’on cherche les hommes mais les hommes sont absents ; pas tout de suite… pas encore. Dans la poésie touffue, baroque et rustique, qui dit la Terre et ses animaux, il y a des personnages qui se dessinent, aux contours flous. Tout est poétisé à outrance, la description de l’Homme se confond avec celle de la nature, et celui-ci ne parle pas, on ne parvient à le distinguer. Impatience et frustration, lenteur : il nous prend l’envie de tourner fébrilement les pages pour s’assurer qu’un dialogue aura au moins lieu une fois… oui. Une histoire se met en place, petit à petit. C’est l’histoire d’Antonio, un homme-poisson (le mot de pêcheur n’est employé pour la première fois qu’au milieu du roman), qui vit au bord du grand fleuve. Antonio nage dans le fleuve, il connaît ses habitudes et ne parle pas, il va parfois au village mais ces escapades lui ont valu la grande cicatrice qui marque son corps athlétique : les hommes se battent lorsque leurs femmes se donnent. Antonio remonte un peu le fleuve et parvient dans la maison du vieux Matelot. Le « besson » (c’est ainsi qu’on désigne un jeune mouton qui a un frère jumeau) de Matelot a disparu, il y a quelques jours déjà. Disparu sur le fleuve. Mort peut-être ? Matelot est âgé déjà, cependant il veut retrouver son fils. Le Chant du Monde est l’histoire d’une quête, la recherche d’un personnage perdu dont on ne sait rien, mais que tout le monde sur la route semble connaître.

        Les paroles des hommes et des femmes de la vallée du Trièves sont déconcertantes, authentiques, parfois mystiques, marquées du patois. Encore une fois le lecteur doit accepter de ne pas tout comprendre.

        Antonio et Matelot marchent le long du fleuve à la recherche du « besson ». Au fond, cet étrange roman pourrait se résumer en cette simple phrase.
        C’est un voyage ponctué de rencontres. Les personnages sont à chaque fois esquissés dans leur caractère, ce qui contraste avec la précision –toujours subjective et poétique- de la peinture des corps, des visages.  Le bien et le mal apparaissent en eux sans explication, la vie jaillit, elle aussi, belle et sauvage : la première femme est une jeune fille qui donne naissance à un enfant, seule dans les bois, et que les deux amis vont aider. Clara est aveugle. Clara est belle, et Antonio est un amoureux ignorant le mot Amour, et qui va laisser Clara à l’aube de son voyage, en promettant de revenir s’occuper d’elle, et de son bébé, et de lui faire découvrir le monde dont elle ne peut qu’entendre le chant.

         Et puis, tout au long du fleuve, au long de la route, plane le nom de « Maudru », personnage inconnu mais redouté de tous, le maître de ces terres qu’Antonio et Matelot prennent pour les leurs, ainsi que toutes les terres de la Terre. Il y a une menace irrésolue dans le roman de Giono, qui pousse le lecteur à tourner encore et encore les pages, malgré les longues descriptions des souffles animiques, presque magiques, de la nature, qui pèsent parfois sur la fluidité qu’on apprécierait trouver.

 

        Cela dit, lire Le Chant du Monde est une expérience à tenter pour un lecteur occidental. L’expérience consiste à se laisser porter sur le courant d’une écriture surprenante, à la beauté étrange et dure, à se confronter à une poésie foisonnante, parfois brutale, et qui, peut-être, tente de renouer avec l’originalité perdue d’une nature maîtresse des hommes. Le Chant du Monde est une énigme dont l’auteur ne donne les clefs qu’à la toute fin, parsemant toutefois son récit d’indices et de pistes mystérieuses. Mais il s’agit moins d’une histoire à comprendre que d’un chant à écouter. Le chant oublié d’une terre sans l’excès des hommes…

Roxane Duboz

Inside Out Project

21 novembre 2013

Inside Out Project: quand le monde devient une galerie d'art géante.

 

        Après New-York et Londres, l’artiste JR a investi la ville lumière. En novembre, l’un de ses camions photomatons a élu domicile au Palais de Tokyo et à la BNF. Avec son projet photographique « Inside Out », cette figure du street art entend démocratiser un art encore trop souvent sous-estimé.

 

Changer le monde avec « de la colle et du papier »

 

        C’est en 2011 que l’aventure commence. JR sort lauréat de la Conférence Ted et reçoit le très convoité prix TED (Technology, Enternainment, Design). La fondation éponyme récompense chaque année, des personnalités publiques pour leurs idées originales et novatrices. A la clé, un chèque de 100.000 euros et la possibilité d’émettre un « vœu pour changer le monde ». L’artiste décide d’utiliser l’art pour le réaliser et créé le projet « Inside Out ». Depuis cette date, il parcourt le monde et invite le public à participer à son projet. "Je souhaite que vous vous leviez pour ce que vous aimez en participant à un projet d'art global, et ensemble, nous allons transformer le monde."
 Le concept : afficher des portraits géants d’inconnus sur les murs des cités urbaines. JR choisit l’espace public comme terrain d’expression de son art. Inspiré des collages de rue, il a créé un « art infiltrant ».

        Le projet « Inside Out » s’inscrit dans la continuité de ses anciens travaux. En 2005, lors des émeutes en banlieue parisienne, son travail fait du bruit. En photographiant des jeunes de quartiers sensibles, et en les collant dans les rues des beaux quartiers parisiens, il prend position sur un sujet brûlant. La Mairie de Paris, séduite par l’idée, décide d’afficher sa série sur les murs de l’Hôtel de Ville. Dans « Face 2 Face », il se réclame en faveur d’une résolution du conflit israélo-palestinien, en exposant des portraits d’Israéliens et de Palestiniens, face à face et toujours en grand format, des deux côtés du mur de séparation.

 

Le street art pour tous

 

        Avec ses Cabines photographiques, il offre aux amateurs la possibilité de participer à une installation collective mais surtout, au plus grand projet participatif international. Les visiteurs peuvent venir imprimer et coller, gratuitement et in-situ, leurs visages. Sa performance sur Time Square à New-York a réuni plus de 6000 participants. Ce globe-trotteur ne s’impose aucune limite spatiale. Il n’hésite pas à s’aventurer dans des zones de tensions désertées par les artistes et les galeries d’art. Israël, Palestine, Tunisie, Pakistan, Fukushima.. La liste est longue. JR se définit comme un « activiste urbain ». Artiste engagé et humaniste, son travail s’organise autour de trois axes principaux : la liberté, l’identité et la limite. JR accorde aussi une place considérable au concept d’anonymat, qui permet de laisser libre court à l’interprétation du passant. JR est un « photograffeur » qui démontre le poids des images.

        Les internautes peuvent commander leurs portraits sur le site www.insideoutproject.net et apporter leur contribution en les collant sur les façades qui structurent les villes. Les actions sont archivées, documentées et disponibles en ligne. Inside Out Project propose aux habitants du monde un nouveau moyen de faire passer un message. Des affiches placardées sur des places publiques connectent les communautés.

        Le début de l’hiver marque aussi la sortie dans les salles MK2 du documentaire Inside Out, retraçant l’évolution de ce projet artistique monumental.

 

Aude Borel

Les Noces, Albert Camus

11 novembre 2013

        Rassemblant de très courts écrits de jeunesse de Camus, Noces se trouve au confluent du recueil d'essais lyriques et autobiographiques. Noces à Tipasa, Le Vent à Djémila, L'été à Alger, Le désert ; au fil de la lecture, un voyage au cœur de son Algérie natale. Pourtant, il ne s'agit pas seulement de récits de voyages. La jeunesse, la nature, les passants, les ruines, l'amour, la mort, la joie donnent autant à penser qu'à regarder ; ainsi s'enchevêtrent le lyrisme et la réflexion, allant au-delà d'une simple description, Camus offre le monde comme sujet pour penser ce qui transcende la vision.
        De plus, s'il s'érige en contemplateur, c'est aussi pour se livrer, s'explorer lui-même. En somme, on décèle le voyage, qui au premier plan, donne à regarder (« Les montagnes, le ciel, la mer sont comme des visages dont on découvre l'aridité ou la splendeur, à force de regarder au lieu de voir. » Noces à Tipasa). Et dans un second temps, un voyage interne ; durant lequel ce n'est plus Camus qui défile dans le monde, mais le monde qui défile en Camus. Ce deuxième aspect est essentiel, car il est au centre de l’œuvre ("J'avais au cœur une joie étrange, celle-là même qui naît d'une conscience tranquille." Noces à Tipasa).
        Si Noces présente un tel intérêt dans l’œuvre de Camus, ce n'est évidemment pas pour son aspect philosophique qui, tendant vers le lyrique, ne présente pas une aussi grande maturité que l'on peut trouver dans ses essais postérieurs. Noces est avant tout, et à la fois, l'une de ses premières œuvres, et celle où la beauté, palpable, est la plus paisible.


        « C’est le grand libertinage de la nature et de la mer qui m’accapare tout entier. Dans ce mariage des ruines et du printemps, les ruines sont redevenues pierres, et perdant le poli imposé par l’Homme sont rentrées dans la nature. Pour le retour de ces filles prodigues, la nature a prodigué les fleurs. Entre les dalles du forum, l’héliotrope pousse sa tête ronde et blanche et les géraniums rouges versent leur sang sur ce qui fut maisons, temple et place publique. Comme ces hommes que beaucoup de science ramène à Dieu, beaucoup d’années ont ramené les ruines à la maison de leur mère. Aujourd’hui enfin leur passé les quitte. Et rien ne les distrait de cette force profonde, qui les ramène au centre des choses qui tombent. Que d’heures passées à écraser les absinthes, à caresser les ruines, à tenter d’accorder ma respiration au soupir tumultueux du monde. Enfoncé parmi les odeurs sauvages et les concerts d’insectes somnolents, j’ouvre les yeux et mon cœur a la grandeur insoutenable de ce ciel gorgé de chaleur. Ce n’est pas si facile de devenir ce qu’on est, de retrouver sa mesure profonde.»

Noces à Tipasa.

Maxime Guillon

Le Musée de l'Orangerie

10 novembre 2013

        Au cœur de Paris, surplombant le Jardin des Tuileries, le Musée de l’Orangerie renferme une collection que tous les musées du Monde peuvent bien lui envier. En effet, on peut y admirer la vaste collection qu’ont regroupée Paul Guillaume, marchand d’art de l’époque, et Jean Walter, architecte. En entrant dans le musée, on découvre ainsi Cézanne, Renoir, Soutine, Matisse et bien d’autres peintres. La notoriété du Musée s’est amplifiée, grâce au don en 1922 de Claude Monet lui-même, de ses célèbres nymphéas. Passant sous les colonnes de l’entrée, le visiteur entre tout d’abord dans un hall lumineux qui doit sa clarté aux verrières du plafond. Il se glisse ensuite dans ce qui semble être des passages secrets vers le jardin de Monet. Les deux salles ovales recouvertes des nymphéas en panorama ont été construites sous le soutien du peintre. Il a réussi à créer un univers paisible dans lequel le visiteur se plonge volontiers. Assis au milieu de la salle, il se sent alors voguer sur une barque dans les eaux calmes de l’étang de Giverny. Les deux salles sont, (de plus) nimbées d’une lumière naturelle pure qui met en valeur les huit peintures. Leur grandeur et les reflets dans l’eau donnent l’impression aux observateurs que le décor sort du cadre. Avec le même sujet, le père de l’impressionnisme - il ne faut pas oublier que le mouvement doit son nom à "L’impression soleil levant" de l'artiste - a créé une ambiance différente à chaque coup d’œil. On se retrouve une fois au bord de l’eau à l’aube, une autre sous un ciel nuageux que l’on distingue dans l’eau, ou encore sous les saules pleureurs au crépuscule. Ces tableaux sont donc des impressions de la nature au moment où le peintre pose son pinceau sur la toile. On peut alors se rapprocher tout près, se mettre à la place de l’artiste pour enfin reculer tout doucement et voir les taches de couleurs devenir véritable paysage naturel.

Adaoust Camille

Please reload

Arts et Littérature

bottom of page